Ecovision : Le mauvais côté du triangle 
Le Soleil  du 30 juin 2009 http://www.lesoleil.sn/imprimer.php3?id_article=48476

La Commission européenne est porteuse d’un programme de partenariat triangulaire entre l’Ue, la Chine et l’Afrique. S’en expliquant, il y a quelque temps, Louis Michel, le Commissaire européen au développement, déclarait que la relation « idyllique » entre l’Empire du milieu et le continent noir serait momentanée et que la montée des investissements et intérêts chinois ne nous apporterait qu’une « économie de rente nulle en termes d’emplois et de prospérité économique ». Pour qu’il en soit autrement, l’on avance sans sourciller que la Chine pourrait être intéressée dans une coopération avec l’Europe en Afrique, d’autant que « ce serait un label de crédibilité qui pourrait lui permettre de continuer à y investir ».

Cette approche fait terriblement peur. Elle évoque le commerce triangulaire qui a humainement et matériellement saigné l’Afrique et fait la fortune des Etats-Unis d’Amérique et de l’Europe occidentale forte de ses puissances coloniales.

Manifestement, un schéma analogue qu’elle voudrait reconduire, en changeant de partenaire stratégique et laissant le continent noir toujours du mauvais côté du triangle. De ses relations avec le reste du monde développé ou émergent, l’Afrique ne conserverait que son rôle de pourvoyeuse de matières premières et de consommatrice des produits qu’elles ont servi à élaborer, sans jamais avoir les infrastructures, les industries et la maîtrise des technologies indispensables pour se hisser au niveau des nations qui comptent économiquement à travers le monde.

La Chine est devenue, en peu de temps, le troisième partenaire économique de l’Afrique, après la France et les Etats-Unis. L’objectif qu’elle s’était fixé en 2006 de porter le volume de ses échanges avec l’Afrique à 100 milliards de dollars en 2010 a été atteint et dépassé dès 2008, pour une valeur chiffrée par son département du commerce à 106,8 milliards de dollars. Pour soutenir cette dynamique, le gouvernement chinois a institué un Fonds de développement Chine-Afrique dont le capital devrait passer d’un milliard à 5 milliards de dollars. Les investissements directs chinois à travers le continent ont dépassé les cinq milliards de dollars en 2008. Les entreprises chinoises sont encouragées à investir en Afrique dans les secteurs porteurs tels les bâtiments et travaux publics, les technologies de l’information, la pêche, l’énergie, les mines, etc. La Chine fait de consistants dons et accorde d’importants prêts à des conditions particulièrement avantageuses aux Etats avec qui elle coopère. Il s’y ajoute son engagement à effacer une part substantielle des dettes que lui doivent 31 PMA et autres pays pauvres et surendettés et l’extension de la suppression des taxes sur nombre de produits importés d’Afrique.

Les choses sont claires : la Chine, qui s’est réveillée, entend s’imposer en Afrique comme première force économique sur un marché gigantesque largement en friche. On la voit difficilement y accepter d’y jouer les seconds rôles auprès de quelque partenaire développé qui soit. Les énormes quantités de matières premières et d’énergie et les non moins importants débouchés commerciaux dont elle a besoin pour soutenir sa croissance fulgurante l’obligent d’avoir les coudées franches, à bouleverser les règles du jeu imposées sur l’échiquier continental par les anciens colonisateurs devenus « partenaires au développement ».

Ce sont les mêmes qui voudraient nouer, sur le dos de l’Afrique, un deal triangulaire avec la Chine après l’avoir accusée de piller les ressources du continent, de ne pas respecter son environnement, de creuser le surendettement de ses Etats sans discernement et de ne pas contribuer à leur développement. Les accusateurs de la Chine sont coupables des décennies et des décennies durant de ces pratiques qu’ils dénoncent et auxquelles ils n’ont point renoncé, aussi paradoxal que cela puisse paraître. Ils n’ont véritablement pas de leçon à donner à la Chine. Dans les conditions imposées à l’Afrique par l’entremise des Institutions de Bretton Woods, le Nord n’a pas fait mieux que la Chine jusqu’ici en termes d’investissement en Afrique, surtout dans les infrastructures sans lesquelles point de décollage économique. Sa percée en Afrique a plutôt changé positivement certaines donnes. Elle a, notamment, contraint ses concurrents occidentaux d’accepter de payer de meilleurs prix pour les produits de base qu’ils en importent. Si les Chinois ravissent de plus en plus de marchés aux entreprises occidentales, un peu partout en Afrique, c’est parce qu’ils sont largement plus compétitifs en terme de coût, comme on le constate sur de nombreux grands projets de ports, de réseaux routiers, de chemins de fer ou de barrages.

Le vrai problème pour l’Afrique est que la Chine inonde son marché de produits à des prix imbattables qui étouffent les entreprises existantes et empêchent l’émergence de nouvelles unités. Les commerçants chinois qui sont de plus en plus nombreux à venir eux-mêmes en Afrique écouler, jusqu’au stade du détail, les produits importés de leurs pays, sont en train d’exclure du marché les commerçants africains établis de longue date. Ensuite, les Chinois contribuent très peu à la valorisation locale des produits de base du continent et au transfert des technologies et du savoir faire qui permettraient aux Africains d’être au diapason des industries asiatiques. C’est sans doute de bonne guerre économique ; il appartient aux Africains de se battre pour le rééquilibrage de la balance, de se donner les moyens de tirer le meilleur parti possible du choc des intérêts chinois et occidentaux sur son sol pour sortir du sous-développement.

Amadou FALL 


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