Une nouvelle donne pour les investissements directs étrangers chinois
Xavier Richet
The Conversation, 18 mai 2017


File 20170517 6030 lx62q3Manager à Shanghai. Chris Marchant/Flickr, CC BY

Xavier Richet, Université Sorbonne Nouvelle, Paris 3 – USPC

La politique économique de la Chine a été récemment marquée par deux faits importants : la forte croissance des investissements directs étrangers (IDE) sortants chinois, d’une part, la mise en place de réglementations contraignantes des autorités chinoises à l’égard des flux de capitaux sortants, d’autre part. The Conversation

Le gouvernement chinois vise à stabiliser le cours du RMB qui a enregistré, au cours des derniers mois, une forte baisse, entraînant la fuite des capitaux. Ces mesures ont une dimension d’abord macroéconomique mais elles affectent aussi les opérations liées à l’acquisition d’actifs ou à la réalisation d’investissements de type greenfield à l’étranger. Elles touchent explicitement les IDE chinois dont le niveau d’investissement dépasse un certain plafond.

Parallèlement, plusieurs pays récepteurs comme les États-Unis, les économies européennes, scrutent avec plus d’acuité l’entrée de ces capitaux qui s’investissement dans les secteurs stratégiques de ces économies.

Taux de change euro/yuan depuis 2005. Wikipedia, CC BY-SA

Une croissance soutenue des IDE chinois

Depuis plus d’une dizaine d’années, la Chine a enregistré une croissance soutenue, régulière presque exponentielle de ses IDE. Bien que le stock chinois comparé au stock mondial d’IDE reste encore modeste, elle devient un des principaux investisseurs mondiaux conduisant de nombreux pays à mettre en place des politiques d’attractivité pour inciter les firmes chinoises à s’implanter, à reprendre des actifs domestiques, à entrer dans le capital d’entreprises en difficulté.

Dans les économies développées, une partie des IDE chinois se porte vers des secteurs stratégiques, conduisant à l’appropriation et au transfert de technologies sensibles (cf. l’entreprise Kuka qui fabrique des robots en Allemagne), à développer des positions de monopole (Syngenta, Pirelli) dans certains secteurs.

Aujourd’hui, le stock des IDE sortants de Chine dépasse le stock des IDE entrants. Les grands pays développés accusent un déficit, en partie en raison des différentes barrières mises en place à l’entrée des capitaux étrangers dans des secteurs protégés (télécommunications, audiovisuel, finance). Récemment, les économies développées de marché sont devenues des cibles privilégiées des investisseurs chinois (tableau 1).

Les investissements en direction de ces économies (USA, Europe) concernent une variété de secteurs, allant de l’énergie, à l’automobile en passant par la finance, l’immobilier des équipes de foot.

Une autre caractéristique de ces investissements tient à la variété des investisseurs chinois.

Aujourd’hui les investissements du secteur d’État sont en minorité. La plupart sont réalisés par des entreprises du secteur « non-étatique » qui regroupe des firmes cotées en bourse, des firmes privées dont des start-ups et même des PME familiales.

Plusieurs facteurs motivent ce mouvement comme la recherche d’actifs pour contribuer à la réalisation des grands projets initiés par le gouvernement dans des secteurs stratégiques, la difficulté de croître sur le marché domestique en raison de l’encombrement dans certains secteurs, la recherche de parts de marché à l’étranger, le positionnement près des centres d’innovation en vue de s’insérer en amont dans les chaînes de valeur (cf. les investissements en Allemagne), les disponibilités financières et la faible contrainte financière qui pèsent sur les firmes chinoises qui peuvent largement emprunter sur le marché domestique, la baisse de la valeur de nombreux actifs, notamment en Europe.

Enfin, l’évasion de capitaux, alimentée par la lutte anticorruption et les prévisions pessimistes sur l’avenir de l’économie chinoise doit être prise en compte.

Tableau 1 : Investissements chinois par pays

Source : American Enterprise Institute and Heritage Foundation, China Global Investment Tracker.

Paradoxalement, les investissements réalisés dans les économies de marché avancées par les firmes chinoises (comme dans d’autres régions) atteignent rarement une forte rentabilité et engendrent même des revenus négatifs pour certains (Mandelman, Palmer, Zilioa, 2016). Dans beaucoup de cas, la réalisation de ces investissements entraîne des transactions litigieuses (Scissors, 2017).

Enrayer la fuite des capitaux, contrôler les IDE sortants

La relaxation partielle du marché des capitaux, dans le contexte d’une faible croissance, de l’augmentation des coûts domestiques, a conduit à la baisse du yuan (le RMB, la monnaie du peuple) et nourrit, depuis quelques mois, un important mouvement de fuite des capitaux.

La Chine est encore loin d’être devenue une économie de marché. Le compte de capital n’est pas libéré et le système de change est toujours contrôlé par la Banque populaire de Chine qui fixe quotidiennement la parité du RMB en suivant les évolutions du marché monétaire (le RMB suit – pas toujours- un panier de monnaies composé du dollar US, de l’euro, du yen).

Plutôt que de libérer ce compte, ce qui entamerait les réserves financières de la Chine (estimées aujourd’hui à plus de 3 trillions de dollars US) le gouvernement cherche à stabiliser la parité du RMB en contrôlant, notamment, les sorties de capitaux. Il cible en particulier les sorties de capitaux initiées par les firmes chinoises qui souhaitent investir à l’étranger ; il oblige les firmes implantées à l’étranger à se financer en émettant des obligations sur les marchés où elles opèrent (Wall Street Journal, 2017).

Ce contrôle affecte aussi (temporairement ?) les firmes étrangères implantées en Chine qui ne peuvent plus transférer les revenus de leurs activités qu’à hauteur d’un certain montant. Toutefois (en contrepartie ?), le gouvernement chinois a réduit la liste des secteurs où les firmes étrangères ne peuvent pas investir (the Negative List) afin d’attirer d’avantage d’IDE et réduire le déséquilibre entre IDE entrants et sortants dans le pays.

Les récentes réglementations appliquées par le gouvernement chinois, notamment par la PBoC, (Circulaire 306), établissent clairement le lien entre l’objectif de stabilisation du RMB et la politique de prêt aux entreprises désirant emprunter des Yuans pour investir à l’étranger. Une autre agence, la SAFE (State Administration of Foreign Exhange) a adopté un certain nombre de règles internes limitant le rapatriement vers leurs pays d’origine des profits réalisés de 50 millions de dollars à 5 millions de dollars par les firmes étrangères.

En ce qui concerne les firmes chinoises, une déclaration commune (décembre 2016) de plusieurs instances (National Development and Reform Commission, le Ministère du Commerce, la PBoC and la SAFE) réaffirme les conditions dans lesquelles les firmes chinoises peuvent bénéficier de support financier domestique et procéder à l’exportation de capital pour réaliser leurs investissements (Jenny Sheng, Julain Zou, 2016).

Il est précisé que le gouvernement continuera à financer les opérations à l’extérieur et à soutenir les projets dans le cadre d’OBOR mais avertit qu’elle contrôlera les « investissements irrationnels » dans l’immobilier, l’hôtellerie, les industries cinématographiques et des spectacles, les clubs sportifs.

Par ailleurs, le gouvernement a en ligne de mire les grands investissements qui ne sont pas directement liés à l’activité principale (le cœur de métier) de l’entreprise chinoise émettrice, les investissements réalisés par des sociétés en commandite, des investissements dont le montant dépasse le capital de la société chinoise, enfin des investissements qui n’ont qu’une période de temps limitée.

Chez les récepteurs, des réglementations plus contraignantes ?

Les pays récepteurs eux aussi, et pour d’autres raisons, mettent en place des mesures visant à contrôler les IDE chinois dans des secteurs sensibles. L’UE a une position ambiguë. Il n’existe pas encore d’accord bilatéral sur les investissements signés entre les deux parties.

Aujourd’hui l’Europe accuse un déficit important avec la Chine en termes d’IDE. En raison des restrictions qui existent dans le pays, (la liste négative) les flux d’IDE stagnent, de nombreux investissements ne peuvent pas entrer dans les secteurs protégés, en contradiction avec les règles de l’OMC.

Les pays européens, néanmoins, déroulent le tapis rouge devant les investisseurs chinois, accueillant les investissements dans de nombreux secteurs (PSA, club Med en France) souvent en difficultés financières.

Le rachat de la firme high-tech Kuka par un fonds chinois a alerté les autorités allemandes sur le risque de prédation que pouvait entraîner ce type d’acquisition. Cette affaire a conduit les ministres de l’économie d’Italie, d’Allemagne et de France à se tourner vers la Commission européenne pour trouver une parade afin de protéger les firmes du secteur des hautes technologies des visées chinoises.

Outre-Atlantique, le Comité pour l’investissement étranger aux États-Unis (CFIUS) supervise depuis longtemps et peut bloquer les projets qui mettent en cause la sécurité nationale du pays, un concept vague qui peut donner lieu à des interprétations diverses en ce qui concerne aussi bien des investissements aux États-Unis qu’à l’étranger.

Par exemple, les États-Unis ont contribué à bloquer le projet d’acquisition d’une firme allemande succursale d’une firme américaine produisant des semi-conducteurs (Aixtron). En même temps, comme tous les investissements étrangers réalisés aux États Unis, les IDE chinois ont un impact sur l’emploi, induisent un certain effet d’image dans l’industrie où ils sont présents.

Comme en Europe, la présence des IDE chinois est donc bienvenue pour ses effets positifs, mais crainte pour les menaces d’acquisition de savoir-faire. D’autres pays sont aussi sensibles à la présence des firmes chinoises et à leur projet de contrôle d’actifs. En Australie, le gouvernement a refusé l’entrée de la firme chinoise State Grid Corporation of China dans le plus grand réseau de distribution d’électricité du pays.

Logique d’état, logique d’entreprise

Les difficultés financières présentes de la Chine ne sont pas imputables en premier lieu aux firmes qui investissent à l’étranger. Mais c’est l’occasion pour le gouvernement chinois de mettre au clair et de réévaluer les performances de ce secteur et donc de freiner la soif d’investissements qui a saisi de nombreuses firmes qui, par ailleurs, rencontrent de nombreuses difficultés pour se développer et opérer à l’étranger. Les firmes chinoises vont être amenées à rationaliser, à revoir leurs stratégies dans plusieurs domaines.

Mais il reste que l’accès aux technologies sensibles demeure un objectif important pour les firmes qui opèrent dans ce secteur tant qu’elles ne seront pas en mesure, au niveau domestique, de produire ce dont elles ont besoin pour assurer le rattrapage avec les économies avancées avec lesquelles elles sont en concurrence.

Xavier Richet, Professeur émérite en économie, Université Sorbonne Nouvelle, Paris 3 – USPC

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.