Approximations, confusion... [Djibouti & Tillerson]


Le nombre de polémiques mal avisées que suscite le voyage de Rex Tillerson lui-même précédé d’une conférence de presse de deux porte-parole du Département d’État dont les déclarations étaient plus ou moins dans l’aimable style de Donald Trump (voir Afrique, États-Unis et Chine ), je me suis donc abstenu de compter les points et ai juste mis en ligne les données réunies par Deborah Bräutigam (The Tillerson Trip: Data on China, Africa, and the U.S.) et Jackson Miller (Who does [USA/China/India/UK/Japan/France] prioritize in Africa? ).

Aujourd’hui, je découvre un texte d'Abdi Latif Dahir paru dans Quartz Africa le 10 mars 2018 et intitulé China’s growing African footprint could lock the US out from its lone Africa base [note 1]. L’auteur écrit :

But the recent US unease was linked to Djibouti terminating the contract of one the country’s biggest port operators, the Dubai-owned DP World. The company called the move an illegal seizure, prompting US officials to speculate if president Ismail Omar Guelleh could also kick them out at will in the future and if he could hand over the port to China. “If they did [give the port to China], down the way that restricts access, that restricts the [US] navy’s ability to get in there and offload supplies,” Waldhauser warned.

Reprenons depuis le début. La zone de libre-échange de Djibouti a été confiée en 2004 à une entreprise dubaïote Jebel Ali Free Zone (JAFZA). La société mère de JAFZA est Economic Zones World qui est sous le contrôle du gouvernement émirati à travers Dubaï World qui est le plus grand investisseur émirati à Djibouti où elle a investi 800 millions de dollars. En plus de JAFZA, d’autres filiales de Dubaï World, comme DP World, DC World, Nakheel... participent activement au développement de Djibouti.

Cependant, les bonnes choses ont une fin ; les relations entre Djibouti et les Émirats arabes unis se sont brutalement fissurées. En 2014, le gouvernement djiboutien a annoncé qu’il allait retirer la concession octroyée depuis trente ans à DP World pour la gestion du terminal à conteneurs de Doraleh [Attention, le terminal de Doraleh mais non le port de Djibouti] au motif que ce dernier [DP World] aurait soudoyé le président de la zone de libre-échange lors de l’appel d’offres de 2000. Les deux parties étaient dans une impasse depuis de nombreuses années, mais en février 2017, la Cour [internationale] d'arbitrage de Londres a annoncé que les allégations du gouvernement djiboutien n’étaient pas fondées.

DP World aurait dû alors continuer à exploiter le terminal DCT [i.e. le terminal à conteneurs de Doraleh], il n’aurait seulement plus été le seul opérateur étranger à gérer un terminal commercial à Djibouti – le terminal multifonctionnel dans lequel China Merchants Ports a investi est en service depuis mai 2017. Alors que leur statut se ternissait à Djibouti, les Émirats arabes unis s'étaient intéressés à d’autres pays d’Afrique de l’Est. En l’espace d’un mois, DP World a annoncé un investissement de 442 millions de dollars pour étendre le port de Berbera en Somalie et une concession de trente ans prorogeables dix ans. Ce port et celui de Djibouti ont potentiellement le même client, l'Éthiopie qui n’a pas d’accès à la mer. On comprend alors mieux l'éviction de DP World annoncée le 22 février 2018 un an après le jugement.

L’auteur de l’article précité, relayant Waldhauser, prend donc le prétexte d’un conflit commercial bien établi et documenté pour avérer a priori un risque militaire et politique. Si le Camp Lemonnier devait être retiré aux États-Unis par une décision unilatérale de Djibouti, ce ne pourrait être à l’occasion d’une simple dispute commerciale et ce d’autant moins que la location du camp rapporterait chaque année trente millions de dollars à Djibouti [note 2]. Il y a donc ici une confusion volontaire entre « terminal » et « port », entre « terminal à conteneurs » et « base navale » pour justifier un amalgame entre des faits de natures différentes dans la seule intention de brouiller les cartes ou de nourrir la polémique. Que l’on puisse craindre la pénétration chinoise en Afrique est une chose, mais ce n’est certainement pas en pipant les informations que l’on pourra y répondre et résoudre le problème.

 


Notes :
[1] Je remercie Christophe Granier qui m’a signalé ce texte.
[2] Christophe Boisbouvier, « Du bon usage des bases », Jeune Afrique, 18 mai 2010, http://www.jeuneafrique.com/197043/politique/du-bon-usage-des-bases/.