« Repositionnement » stratégique et Livre blanc sur la coopération sino-africaine
Thierry Pairault
Bien que les conclusions du document dont nous venons de publier la traduction (Le « repositionnement » stratégique de la Chine vers l’Afrique ) ne soit en aucun manière l’explication d’une décision politique déjà prise pour prendre l'Afrique comme pivot d’un nouvelle stratégie chinoise, nous avons voulu rapidement en comparer la tonalité générale à celle du « Livre blanc sur la coopération sino-africaine dans une nouvelle ère » 新时代的中非合作 qui a été publié en décembre 2021.
Comme cela a été largement remarqué, la traduction en anglais du titre du Livre blanc donnait un rendu peu fidèle au titre chinois, mais manifestant une certaine évolution : « La Chine et l'Afrique dans la nouvelle ère : Un partenariat entre pairs » [China and Africa in the New Era: A Partnership of Equals]. Toutefois, rien n’indique une évolution du rôle stratégique de l’Afrique (« l'Afrique comme pivot » 以非洲为支点). En revanche, le rôle subordonné de l'Afrique que nous évoquions dans l’avant-propos de notre traduction est lui clairement réaffirmé. Dans la dernière section intitulée « Donner une nouvelle dimension aux relations sino-africaines » 与时俱进、推动中非关系实现新跨越, il est affirmé que
Sous la direction de la Pensée Xi Jinping sur le socialisme aux caractéristiques chinoises pour une nouvelle ère et de la Pensée Xi Jinping sur les affaires étrangères, la Chine va ... travailler avec les pays africains pour faire progresser une coopération de haute qualité et construire dans la nouvelle ère une communauté de destin sino-africaine.
Question : les pays africains souhaitent-ils vraiment être sous la tutelle de la Pensée Xi Jinping ? Je voudrais ici rappeler que l’historien et philosophe burkinabé Joseph Ki-Zerbo incitait les Africains à ne pas « dormir sur la natte des autres », mais à compter sur eux-mêmes, d’expérimenter et de construire avec ce qu’ils possèdent au lieu d’importer les modèles politiques, économiques et éducatifs étrangers.
Elles [la Chine et l'Afrique] soutiendront le projet d’un développement global 全球发展倡议 et d’une communauté globale de développement partagé, afin de parvenir à un développement commun de haute qualité et durable au bénéfice des peuples chinois et africains.
Question : cette proposition ne préconise-t-elle pas aussi « de dormir sur la natte chinoise » ? Rappelons également que selon Samir Amin, l’intégration à un système mondial (ici le projet chinois) fait courir le risque aux pays en développement de conduire au « développement du sous-développement ». Même si cette assertion est contestée, il reste que la place de l'Afrique dans la division internationale du travail que lui réserve la Chine y conduit. Le 15e plan quinquennal (2021-2025) réaffirme clairement la volonté d’instaurer des chaînes industrielles qui respectent le principe de « la Chine d’abord » 以我为主 (littéralement, moi d’abord). Dans le cadre d’une division internationale du travail inégale, ce principe ne fait que renforcer l’Afrique dans son rôle de fournisseur de matières premières à côté d’autres régions et pays « ressource » 资源国.
Et en conclusion :
[La Chine] et les pays africains promouvront ensemble le projet des « nouvelles routes de la soie » et construiront une communauté de destin sino-africaine plus étroite qui profitera davantage aux peuples chinois et africains.
Question : dans quelle mesure la stratégie des nouvelles routes de la soie est-elle compatible avec l’Agenda 2063 de l’Union africaine ? La Vision 2035 de la coopération sino-africaine énoncée en décembre 2021 est sans doute un pas en ce sens, mais on peut se demander si cette Vision ne vient pas plutôt en appui d'une autre Vision 2035 énoncée en octobre 2021 « pour faire face à la confrontation » avec les États-Unis à l’occasion de la présentation du 15e plan quinquennal (2021-2025).
Si l'Afrique devenait effectivement le pivot autour duquel la Chine définirait une nouvelle stratégie géopolitique, le bénéfice que l'Afrique pourrait en retirer dépendra plus que certainement de sa capacité à s’affirmer face à la Chine. Compte tenu des divergences d’intérêts entre les 54 pays africains, une telle unité semble illusoire. Toutefois, les « interférences » 干扰 de « l’Occident ayant à sa tête les États-Unis » 以美国为首的西方 pourraient servir le continent en ce sens.