Investissement, prestations de services & financement
La 81e livraison de la revue Géoéconomie offre trois articles dont les thèmes nous intéressent ici, nous conseillerons la lecture de deux premiers articles avant d’évoquer le troisième :
- Xavier Aurégan, « Temps et non-temps de la Chine en Afrique », Géoéconomie, 2016/4, n° 81, p. 177-195 (lire à http://www.cairn.info/revue-geoeconomie-2016-4-page-177.htm ) ;
- Christian Vicenty, « Les nouvelles routes de la soie : ambitions chinoises et réalités géopolitiques », Géoéconomie, 2016/4, n° 81, p. 133-158. (lire à http://www.cairn.info/revue-geoeconomie-2016-4-page-133.htm ).
Le troisième article rédigé par Barthélemy Courmont, s’intitule « Quand la Chine investit dans les infrastructures » (Géoéconomie, 2016/4, n° 81, p. 159-175 ; lire à http://www.cairn.info/revue-geoeconomie-2016-4-page-133.htm. Il s’agit d’un point de vue critique fondé sur une confusion conceptuelle. Que les investissements directs à l'étranger et les investissements de portefeuille à l'étranger soient difficiles à distinguer, je n’en disconviendrai pas même si théoriquement la distinction est claire. Les seconds sont des investissements purement spéculatifs qui ne manifestent de la part de l’investisseur aucun intérêt durable ni aucune implication productive à long terme dans la gestion de l’entreprise objet de l’investissement. C’est pourquoi on peut douter de l’efficacité des dispositions prises par le gouvernement chinois qui vient de prendre des mesures pour restreindre drastiquement les investissements spéculatifs à l’étranger des entreprises chinoises [Voir le communiqué de Bloomberg du 28 novembre 2016 : China to Curb Megadeals as Regulators Tame Record Overseas Spree ]. Cette unique remarque vient à elle seule limiter la portée de l’analyse de Barthélemy Courmont qui n’envisage la Chine que sous l’angle d’une volonté hégémonique et prédatrice.
Mais la confusion la plus grave est très certainement celle entre investissements (chinois à l’étranger), prestations (chinoises) de services (à l’étranger) et financements (chinois) d’investissements (non chinois à l’étranger). Dès lors que l’on distingue ces trois concepts, on constate à l’évidence que la Chine ne fait ni « des investissements massifs dans les infrastructures » (puisque ce sont très généralement les gouvernements locaux qui investissent), ni non plus que « la Chine a consolidé sa présence en Afrique depuis plus d’une décennie, jusqu’à devenir le premier investisseur ». Rappelons d'abord qu'un flux d'investissement se manifeste par un flux financier entrant tandis que les prestations de services se manifestent par un flux financier sortant. Rappelons aussi qu'en 2014, l'Afrique – pour ne parler que d'elle – a reçu environ 3 milliards de dollars au titre des investissements chinois mais a dû payer (même par le biais de prêts) environ 96 milliards de dollars pour des prestations de services. Rappelons encore qu’en 2014, l’investissement chinois en Afrique n’a représenté que 0,2% du total mondial de l’investissement direct, que l’investissement chinois en Afrique n’a représenté que 42% de l’investissement chinois aux États-Unis, que l’investissement français en Afrique a représenté 22% de l’investissement reçu par l’Afrique (contre 6% pour la Chine)… Ces chiffres, et bien d’autres démontrant la faiblesse de l’argumentation de Barthélemy Courmont, sont disponibles sur ce site.
Si nous devons critiquer l’action de la Chine à l’étranger (et pourquoi ne la critiquerions-nous pas si nous estimons devoir le faire), il faut que ce soit sur des bases incontestables et avec des concepts clairs et explicités. À défaut, l’argumentation s’apparente à une prise de position idéologique stérile renforçant a contrario la position de l’objet de la critique.