Les États-Unis d'Amérique réajustent leur politique africaine
par Le Potentiel (RDC)  du 6 août 2009,  

La liste des pays retenus pour cette première tournée de la secrétaire d’Etat Hillary Clinton en Afrique subsaharienne, à partir du 05 août, est perçue par plus d’un observateur comme l’amorce d’un réajustement de la politique africaine.

Dans son communiqué du 27 juillet, le département d’Etat indique que Mme Clinton visitera sept pays africains. Elle débutera par le Kenya, où elle prendra part au Huitième Forum sur la coopération commerciale et économique entre les Etats-Unis et l’Afrique subsaharienne (Forum de l’AGOA, son sigle en anglais). Elle poursuivra sa tournée successivement en Afrique du Sud, en Angola, en RDC, au Nigeria, au Libéria et au Cap-Vert (voir site du département d’Etat « America.gov »).

Aucun des pays présentés hier comme des exemples de la « renaissance africaine », sous l’Administration Clinton ou comme les meilleurs alliés des Etats-Unis sous l’Administration Bush, notamment le Rwanda, l’Ouganda ou l’Erythrée, ne figure sur la liste. La secrétaire d’Etat a sans doute dû s’incliner sur la nouvelle vision de la politique africaine, telle que veulent la bâtir les Afro Américains. Inutile de rappeler le tiraillement observé lors du choix du sous secrétaire d’Etat chargé des affaires africaines. Le président Obama a fini par imposer Carson car c’est le choix opéré par les Noirs et les africanistes, américains ou non, qui ont lutté pour un changement de politique.

Le choix des pays à visiter repose fondamentalement sur des critères arrêtés par les Nations unies dans la constitution des sous régions africaines. En effet, les quatre entités (Afrique australe, Afrique de l’Est, Afrique centrale et Afrique de l’Ouest) ont respectivement comme pays leader l’Afrique du sud, le Kenya, la RDC et le Nigeria. L’Angola s’impose par son importance économique et militaire, à cheval entre l’Afrique centrale et l’Afrique australe. En fait, l’évolution observée confirme l’idée que l’amitié des Etats-Unis vise tous les peuples d’Afrique sans considération particulière des régimes politiques. L’attention sera portée partout où l’Amérique aura des intérêts, économiques notamment, à préserver et à promouvoir.

Sous cet angle, ni le Rwanda ni l’Ouganda, dans les Grands Lacs, ne peuvent dans une perspective à long terme, tenir face à la RDC. L’étendue du territoire, l’importance démographique, l’abondance des ressources naturelles, la position centrale (le pays est entouré par neuf voisins), sont autant d’atouts pour notre pays. Bien sûr que ces facteurs seuls ne suffisent pas pour faire progresser un pays. Il faut, pour utiliser un terme en vogue, la bonne gouvernance.

Maintenant que le Président de la République a finalement pris l’option courageuse et rationnelle d’harmoniser nos rapports avec les voisins de l’Est (Burundi, Rwanda et Ouganda), même si par moment nous semblions subir les conditions et le rythme voulus par eux, on peut espérer un retour définitif de la paix sur l’ensemble du territoire national, permettant ainsi aux autorités de se consacrer à la refondation de l’Etat et à la reconstruction de l’économie nationale.

Dans ce contexte, quel message peut-on attendre de Mme Clinton et quelles demandes la RDC devrait-elle adresser à l’Amérique ? La première chose, c’est de refuser que l’étape de la RDC soit purement humanitaire, comme le suggèrent certains (voir le monde du mercredi 05 août 2009).

Si l’Angola fournit 7% du pétrole importé aux Etats-Unis, la RDC qui est en phase de redémarrage n’est pas sans atouts. Les grandes entreprises américaines sont intéressées par les ressources naturelles de la RDC, en commençant par les produits miniers. Le projet Tenke Fungurume en phase de finalisation, pour un investissement de plus d’un milliard de dollars en fonds propres est un exemple éloquent.

La RDC se fera écouter et respecter par les Etats-Unis si elle s’engage à créer un environnement propice pour le développement des affaires, à promouvoir le respect des droits humains, à consolider la cohabitation harmonieuse entre les différents groupes nationaux, à améliorer chaque jour la gestion des finances publiques, …à devenir un acteur de paix dans la région et en Afrique.

Le gouvernement gagnerait à formuler clairement une demande d’assistance dans les secteurs où cela s’avère nécessaire, notamment celui de la défense et de la sécurité, de la formation post-universitaire et des nouvelles technologies pour une gestion plus efficace et plus transparente des ressources publiques.

En matière de formation post-universitaire, le gouvernement peut solliciter la coopération des Etats-Unis dans le domaine de la recherche nucléaire, par la réhabilitation et la modernisation des équipements du centre d’études nucléaires de Kinshasa. L’histoire récente de notre pays montre que les entretiens du secrétaire d’Etat américain avec le Chef de l’Etat ont marqué un tournant.

En mars 1990, le président Mobutu s’est vu délivrer un message sur la nécessité de la démocratisation du pays par James Baker. Le Maréchal fit semblant de jouer le jeu, mais en réalité il dévoya la démocratie en ne lui gardant que son aspect folklorique du nombre élevé de partis d’opposition, dont la plupart étaient créés par ses services, partis qu’il appelait à tour de rôle à la « mangeoire »…L’Amérique lui accorda la sortie que l’on sait…

Quelques années plus tard, c’est au tour de Madeleine Albright de transmettre un message au président Laurent Désiré Kabila sur la nécessité de préserver la paix dans la région et la cohésion nationale. On connaît ses propos faisant référence à la prunelle de ses yeux. On connaît aussi la fin de non recevoir de M’Zee.

L’Amérique lui infligea la partition du pays, en morceaux contrôlés par des voisins. Quelle peine pour un nationaliste incontesté. Quel message pour Joseph Kabila ? Personne ne le sait à ce jour, sauf Mme Clinton et son chef Obama.

Le président de la République sera attentif au message qu’on lui apporte : qu’il s’agisse de la renégociation de ce que l’on appelle les contrats chinois, de la question des partenariats régionaux, des droits de l’homme, de la gouvernance,…

Pour ne prendre que l’exemple des contrats chinois, ils constituent le point de blocage principal avec le Fonds Monétaire International (FMI). Au moment où des pays comme la France et le Royaume-uni semblaient accepter le principe de conclusion de l’accord avec le FMI, quitte à modifier en cours de route les accords avec la Chine, ce sont les Etats-Unis qui auraient repoussé l’idée, amenant le Conseil d’Administration du FMI à faire de la révision desdits accords un préalable. Un responsable européen a laissé entendre que selon une estimation d’une ONG suédoise, la Chine retirerait, en contrepartie des travaux d’infrastructures d’environ 9 milliards de dollars américains à réaliser au profit de notre pays, entre 70 et 90 milliards. « Comment pensez-vous que l’on puisse accepter un tel déséquilibre », s’était-il indigné. Comme son auditoire congolais n’avait aucun chiffre à opposer aux estimations de l’ONG suédoise, ce fut le silence.

A l’Amérique d’Obama, la RDC réitérera l’attachement de son peuple à son unité et à l’intégrité de son territoire. Le président de la République comme l’ensemble des élus confirmeront que tous les Congolais ont les mêmes droits dans leur pays et que les événements malheureux dont certains compatriotes, comme les Banyanrwanda , ont été victimes soit de la part des agents des pouvoirs publics soit des particuliers, sont à regretter. L’Etat congolais veillera à ce que pareille situation ne se reproduise pas.

Je le dis ici car on ne peut à la fois se réjouir que Monsieur Obama, fils d’un Kenyan, soit élu président des Etats-Unis et se sentir mal à l’aise quand un Congolais dont un des parents est Rwandais ou Burundais est nommé chef de bureau.

Le moment est aujourd’hui propice pour la RDC, avec l’Administration Obama et le gouvernement Brown au Royaume-Uni, de regagner sa position de leadership dans la sous région. L’année dernière, en avril, lors du sommet des Nations Unies sur les mécanismes régionaux de sécurité collective, le Premier ministre britannique avait fait comprendre qu’il fallait redonner au Congo sa place de leader, maintenant qu’il a des institutions légitimes.

La vision des Administrations Clinton et Bush de limiter l’attention des USA sur les pays « alignés » à leur politique est en train de perdre du terrain. Une nouvelle génération d’intellectuels américains et d’africanistes, comme le font des milieux juifs progressistes (libéraux) pour le Moyen-Orient, prônent un nouveau type de rapports des Etats-Unis avec l’Afrique. L’Ougandais Mahmood MAMDANI, professeur à Columbia university, à New York city, a publié deux ouvrages dont la lecture est éclairante : 1) » when the victims become the killers », New Jersey, Princeton university press and Oxford, 2002, 364 p ; 2) « Saviors and Survivors. Darfour, politics and war on terror », New York, Pantheon books, Toronto, Random House, 2009, 397 p.

Cette évolution de la politique américaine- on en voit l’amorce au Soudan, même si l’envoyé spécial et la secrétaire d’Etat ne s’accordent pas pour le moment- a sans doute aussi contribué dans la décision de Kigali de neutraliser Nkunda et d’ « aider » la RDC à traquer les forces négatives rwandaises évoluant sur le sol congolais. Si Obama se permet d’exercer autant de pression sur Israël (les Juifs ont subi le plus grand génocide de l’histoire), pour la relance du processus de paix israélo-arabe, il n’hésiterait pas d’en faire plus sur le Rwanda. A la vérité, le Rwanda dont le pouvoir est sans doute le plus sérieux de la région, en termes à la fois de gestion des ressources humaines, et donc des intelligences, et de l’efficacité de l’action gouvernementale, au plan politique, économique et diplomatique, a anticipé et tente aujourd’hui de vouloir nous soumettre, non plus par la force, mais par la manipulation. C’est de bonne guerre. On ne saurait le lui reprocher.

Le gouvernement de la RDC a donc ce défi à relever : sortir de l’état de conflit quasi permanent depuis une dizaine d’années avec nos voisins pour entrer dans une ère de coopération sincère. Nous devons veiller à ce que cette mutation ne se fasse pas à notre défaveur.

L’harmonisation des rapports avec le Rwanda, particulièrement, que j’ai toujours personnellement souhaitée, devra se réaliser dans un esprit de respect mutuel de nos souverainetés respectives et dans la plus grande transparence, gage de leur pérennité.

Camille KOS’ISAKA NKOMBE.

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