Dette africaine : chinoise à 40% ou à 17% ? 
Thierry Pairault

Pour une version actualisée et plus élaborée, lire cette tribune parue dans Le Point Afrique Dette africaine : la part chinoise à 40 %, mythe ou réalité ?


Depuis quelques temps les médias français annoncent que 40% de la dette africaine serait due à la Chine. Dans le même temps Deborah Bräutigam parlait de 17% dans un article paru dans The Diplomat intitulé Chinese Debt Relief: Fact and Fiction . J’ai donc essayé de comprendre d’où venait ce chiffre 40% car celui de Déborah Bräutigam résultait d’une exploitation des données accessibles par tous sur la base de données statistiques de la Banque mondiale et d’une lecture de l’édition 2019 de son rapport International Debt Statistics 2018 .

Si j’ai bien compris l’enchaînement des faits, tout serait parti, selon un communiqué de Reuters en date du 7 avril, d’une déclaration du ministre ghanéen des finances qui, lors d’une discussion avec le président du think tank de Washington Center for Global Development, aurait indiqué que African debt to China is $145 billion or so. Il semblerait qu’un éditorialiste de RFI dans une de ses chroniques ait voulu mettre ce chiffre en perspective et le comparer au chiffre de l’endettement total et ait retenu le chiffre de 365 milliards de dollars (145/365=40%). Par la suite, ce calcul a été repris dans toute la presse française et étrangère à travers les réseaux catholiques en anglais comme Catholic News Agency qui écoutent RFI.

Or ce calcul, si bien intentionné soit-il, pose problème.

  • Le ministre ghanéen ne dit pas de quel type de dette il s’agit (totale, publique ou privée, à court terme, à long terme ou totale, garantie par les États ou non, en quelle année…).
  • Le chiffre de 365 milliards de dollars fait strictement référence aux dettes publiques à long terme garanties par les États en 2018 ; de surcroît elle ne concerne pas l'Afrique mais l'Afrique sub-saharienne. Elle laisse donc de côté 53% de la dette africaine totale en 2018.
  • Si nous prenons le chiffre du ministre ghanéen au sens strict de son énoncé (African debt to China), le taux d’endettement ne serait plus que de 19% (145/774) en 2018.

Un autre aspect doit encore être pris en compte. Ce chiffre de 145 milliards de dollars a sans doute été repris (en l'arrondissant) sur le site du CARI (China-Africa Research Initiative ), or il s’agit du montant des prêts effectivement octroyés par la Chine entre 2000 et 2017. Ce même chiffre a été recalculé pour la période 2000-2018 et s'élèverait désormais à 152 milliards de dollars (voir l'article de Deborah Bräutigam  supra). En vérité, cette somme ne correspond pas au montant de la dette africaine envers la Chine : certains prêts ont d’ores et déjà été remboursés quand d’autres sont en cours de remboursement. Si nous pouvions véritablement évaluer la dette, nous ne connaîtrions pas encore le poids exact que peut représenter cette dette pour les pays africains, car il faudrait pouvoir estimer le service de la dette, c’est-à-dire l'ensemble des remboursements du principal et du paiement des intérêts.

J’ai repris avec Deborah Bräutigam les calculs qu’elle avait menés également à partir des données de la Banque mondiale mais pour 2017. Elle annonçait que 17% des dettes publiques à long terme en Afrique subs-saharienne résultaient de prêts chinois en 2017, ce que j’ai pu avérer avec la base de données de la Banque mondiale.

Bref, si le continent africain est lourdement endetté à l'égard de la Chine, c'est dans des proportions bien moindres que ce qui a pu être proclamé et repris avec des arrières pensées plus politiques que scientifiques. Ainsi, dans les colonnes du Monde dans sa livraison du 29 avril 2020 , l’ex-président du Bénin, Thomas Boni Yayi, reprend ce chiffre de 40% et affirme que : « La question est de savoir si un pays comme la Chine, membre du G20, est prête à annuler sa créance sur le continent, soit 40 % de la dette africaine qui se situerait autour de 360 milliards de dollars ».

Qu'il s'agisse de 17%, de 19% ou autre, il ne faut pas oublier que ce sont des chiffres moyens qui peuvent être très éloignés de la situation propre à chacun des pays endettés à l'égard de la Chine. En fait, dans le contexte actuel, ces chiffres mesurent plutôt la « punition » que le G20 aurait voulu imposer à la Chine pour son interventionnisme en Afrique. C'est pourquoi le chiffre de 40% a tant retenu l'attention en France du moins, car ailleurs d'autres prennent le relais.

Je viens de lire l’article de l’économiste Minxin Pei 裴敏欣 paru le 1er mai dans Le Nikkei Asian Review sous le titre de China's expensive bet on Africa has failed . L’auteur est connu pour ses positions anti-chinoises que je qualifierais de trumpiennes. En lisant cet article, j'ai été frappé par la perte de toute nuance de l'auteur par la façon biaisée dont il utilise les données chiffrées. Dans le passage qu'il consacre à la dette, il cite le CARI qui n'a pas encore donné le chiffre du montant des prêts (des prêts et non des dettes) de 152 milliards de dollars ; ce chiffre a été donné énoncé qu’une seule fois par Deborah Bräutigam dans son article paru dans The Diplomat intitulé Chinese Debt Relief: Fact and Fiction article déjà cité qui de fait remet en cause l’argumentation de Pei Minxin. Les autres chiffres sont également discutables. À ma connaissance et à celle de Deborah Bräutigam que j’avais contactée, la Banque mondiale n'a jamais donné le chiffre de 64 milliards de dollars ; quant au pourcentage, il est celui du montant des prêts bilatéraux chinois à long terme et publiquement garantis en 2017, c'est-à-dire environ 13% de l'endettement africain total en 2017 ou encore 17% de l'endettement garanti (PPG) que calcule Deborah Bräutigam. Il est clair que faire résonner le chiffre de 60% en détournant l’attention du lecteur « démontre » mieux qu’un exposé circonstancié concluant à chiffre moindre.


Compte rendu de David Shinn  : Africa and Debt Held by China .

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