Approximation, confusion... [Irene Sun & McKinsey]

Toutes les notes révélant toute sorte de désinformation seront désormais accessibles par le menu La Chine et les Afriques  dans la rubrique Approximation, confusion, semi-vérités .


Louant le rôle des investissements chinois en Afrique, Carlos Lopes, ancien Secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique (CEA), aurait déploré – lors du deuxième Forum Africa qui s’est tenu les 7-9 décembre 2017 à Charm el-Cheikh – « la désinformation qui entoure les investissements chinois en Afrique » (voir Ex-ECA official lauds Chinese investment in Africa ). De fait, il semblerait que les intervenants à ce Forum aient au recours à la lecture du rapport McKinsey de 2017 qui clame que les entreprises chinoise en Afrique seraient au nombre de 10 000. Je ne suis pas le seul a douter de la méthodologie employée par Irene Yuan Sun et ses collaborateurs (voir Entreprises chinoises et délocalisation en Afrique ).

Nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer le cas de l’entreprise Humanwell (Approximation, confusion, semi-vérité [suite 2]) qui s’est implantée au Mali en 2009 et dont la présence a été décrite avec des embellissements certains. Il est toutefois des enjolivements qui virent à la véritable désinformation.

Irene Yuan Sun a publié dans The Wall Street Journal le 10 novembre 2017 un article intitulé « Africa’s Factories, Made in China  ». Cet article a été entièrement traduit et repris le 5 décembre 2017 par L’Observateur du Maroc et de l’Afrique sous le titre de « Des usines made in China  ». Le premier paragraphe de cet article se lit dans sa traduction (fidèle) :

« En 2014, une entreprise pharmaceutique chinoise moyenne a envisagé la construction d’une usine de fabrication en Éthiopie. Cette même année, une entreprise occidentale de 20 fois sa taille, GlaxoSmithKline, a exploré la même possibilité. Après deux ans et plusieurs études de faisabilité, la firme occidentale a décidé de ne pas investir en Éthiopie, citant la taille limitée du marché et le faible niveau de revenu du pays. À cette époque, la firme chinoise Humanwell Healthcare Group avait déjà fait des progrès dans sa nouvelle usine en Éthiopie ».

Rappelons ce que nous disions dans notre article précité. Humanwell a créé des chaînes pour la production de flacons en plastique pour perfusions et celle de glucose ainsi que de lactate de sodium Ringer et de métronidazole – tous produits nécessaires à l’hydratation et à l’hygiène post-partum. Nous observions aussi que des auteurs chinois semblaient avoir douté de la pertinence du qualificatif de « pharmaceutique » pour qualifier l’activité de cette entreprise. Toutefois, comme nous le remarquions également, la contribution sociale de ce type d’investissement est certainement très supérieure à sa contribution économique immédiate. Cette contribution par sa nature est-elle pour autant comparable à celle de GlaxoSmithKline (GSK) ? Nous ne disons pas « meilleure », ni « moindre » ni « pire », mais seulement « comparable », c'est-à-dire que nous demandons si nous parlons de la même chose ?

Dans le même temps, GSK annonçait un plan sur cinq ans impliquant toute une série d’investissements et d’actions en Afrique allant de la recherche à la formation de travailleurs de santé (10 000) en passant par la production d’antibiotiques, d’antirétroviraux, de médicaments respiratoires… GSK envisageait alors de développer ses capacités de production au Nigeria et au Kenya et de créer cinq autres unités de production en Afrique, l’Éthiopie n’étant qu'une possibilité à l’étude. Quoi qu’il en soit de l’âpreté aux bénéfices des actionnaires de GSK, il serait très dommageable à l’image de cette entreprise et à celle de son PDG si son plan se révélait trop irréaliste pour être effectivement réalisé. Dès lors, il n’est pas hasardeux d’affirmer que ces deux entreprises – Humanwell et GSK – ne jouent pas dans les mêmes divisions ; il est donc abusif de laisser entendre que l’on puisse les comparer et juger les comportements de la seconde à l’aune de ceux de la première sous prétexte que la seconde n’a pas retenu l’Éthiopie au bénéfice d’un autre pays africain (l’Afrique du Sud) – ce que, bien entendu, Irene Sun omet de mentionner.

De même, Irene Sun passe sous silence la taille des investissements. GSK envisage un investissement de 220 millions de dollars[1] là où Humanwell n’investit que 19 millions de dollars[2] et encore ne le fait-elle pas seule mais avec le concours d’une filiale d’une entreprise dépendant du ministère chinois de la Géologie et des Ressources minérales (voir l’annexe infra).

À la lecture de l’article du Wall Street Journal, il est clair que le lectorat visé était le lectorat africain, comme le montre l’intérêt de L’Observateur du Maroc et de l’Afrique. Par suite, il devient parfaitement évident que l’objet de cet article tout autant que celui du rapport McKinsey de juin 2017 ou celui du rapport de fDi Markets et du Financial Times paru en mai 2017 est de désinformer à propos de la présence chinoise en Afrique afin de susciter une clientèle pour ces cabinets de conseil.


Annexe :

Ci-dessous, nous montrons l’autorisation accordée le 27 juillet 2016 à Humanwell par le bureau de la province du Hubei de la Commission du développement et de la réforme d’investir en Éthiopie avec copie au bureau provincial du MOFCOM et au Bureau de contrôle des changes (disponible sur le site du gouvernement du Hubei ). On notera d'abord la date de l'autorisation (2016); en d'autres termes les études menées par Humanwell et les procédures administratives chinoises ont mis le même temps pour arriver une décision et donc au lancement de l'opération que les études menées par GSK contrairement à l'affirmation d'Irene Sun. On notera aussi la description de l’investissement : production de bouteilles pour suspensions de glucose et de comprimés de glucose. L’expression exacte n’est pas « fabriquer des médicaments » 制药, mais « préparer des doses » 制剂 sous forme de « comprimés » 粒 – ce qui implique l’importation du produit pharmaceutique de base.

 


[1] 130 millions de livres valeur début 2014.

[2] Chiffre officiel en dollars.