Chongqing – Lomé, ou l'épopée discrète des motos chinoises en Afrique [Résumé]
Giorgio Blundo
Séance du Séminaire «Présences chinoises» du 18 mai 2022

Vers la fin des années 1990, quelques containers remplis des motos en provenance de Chine arrivèrent discrètement au port de Lomé, importés par des entrepreneurs chinois venus faire fortune en Afrique de l’Ouest. Ces clones de motos japonaises portaient des noms inquiétants – Dragon – ou exotiques – Jialing –, et personne n’aurait pu prévoir le succès de telles « chinoiseries », réputées à l’époque dangereuses et fragiles. Vingt ans plus tard, elles sillonnent par millions les routes du continent et sont devenues des symboles de réussite et de distinction sociale. L’Afrique est aujourd’hui un des principaux marchés des deux roues fabriquées dans l’Empire du Milieu, absorbant désormais un quart de sa production à l’exportation.

Pour comprendre un tel processus, il faut déplacer le regard des seuls lieux de consommation à l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement des motos chinoises. Mon intervention racontera la « biographie » de cette marchandise mondialisée en investissant ses principaux lieux de conception, production, exposition, commercialisation et consommation : les usines globalisées de Jiangmen, Chongqing ou Luoyang, pouvant fournir plus d’une centaine de pays simultanément par une profusion de modèles adaptés aux caractéristiques de chaque marché ; la Foire de Canton, vitrine internationale de la production industrielle chinoise, où se rencontrent les professionnels africains et chinois du secteur ; Lomé et son port en eaux profondes, qui reçoit annuellement plus de 500.000 motos chinoises ; le grand marché frontalier de Cinkassé, par lequel une partie de ces deux-roues poursuit son voyage vers les États de l’hinterland sahélien.

En suivant la circulation, dans le temps et dans l’espace, des deux roues chinoises, on abordera, d’une part, les modèles industriels, commerciaux et entrepreneuriaux qui la sous-tendent ; d’autre part, les différents facteurs qui ont contribué à la diffusion et à l’appropriation locale de ces motos qui, bien que low-cost aux yeux mêmes de leurs constructeurs, se sont transfigurées en objets de valeur dans des sociétés africaines qui entrent brutalement dans l’ère de la consommation de masse.