The Political Economy of China’s Infrastructure Development in Africa,
Tim Zajontz,
Springer Nature Switzerland AG, 2023, https://doi.org/10.1007/978-3-031-44449-4_1
Le titre captivant de ce livre m’avait fait mettre ce livre dans la pile des lectures à faire. C’est une promotion de l’éditeur qui m’a incité à l’acquérir sans tarder et à en prioriser la lecture, car Springer proposait l’édition numérique à 17 € au lieu de 96 € et de 127 € la version papier.
La thèse soutenue par l’auteur, telle qu’il la présente dans les pages 7-10, est que la politique chinoise de prêts à l'Afrique (comme à d'autres pays) aurait essentiellement eu pour objet de financer des achats par les bénéficiaires des prêts de produits chinois excédentaires à travers les travaux d'infrastructure (commande de matériel et d'équipements). Ce scénario nous semble tout à fait plausible. Le cas de l'Europe et de l'Eurasie semble le confirmer : pour vendre davantage en écoulant en particulier ses productions excédentaires à l'Europe, la Chine a financé des travaux d'infrastructure entre autres ferroviaire dans les pays que ses trains doivent traverser, pays s’approvisionnant pour se faire en Chine. Cette stratégie d'exportation de produits chinois s'oppose à l'idée même d'une stratégie d'exportation des capacités de production dont l’absurdité devient évidente : produire en Chine et dans le même temps faire produire ailleurs des productions déjà excédentaires revient à créer une concurrence extérieure qui aggraverait encore la mévente de ces excédents de production.
Tim Zajontz pour justifier sa thèse s’appuie sur les travaux de David Harvey, en particulier son article intitulé « The 'New' Imperialism: Accumulation by Dispossession » paru en 2004 dans le 40e volume de Socialist Register (p. 63-87). Harvey présente ainsi sa démarche :
J’ai tenté d’aborder ce problème dans les années 1970 en examinant le rôle des « dispositifs spatio-temporels » (spatio-temporal fixes) dans les contradictions internes du processus d’accumulation. Un tel argument n’a de sens qu’en rapport avec la tendance générale du capitalisme à engendrer des crises de suraccumulation, que l’on peut comprendre théoriquement grâce à la théorie marxiste de la baisse tendancielle du taux de profit. Ces crises se manifestent sous la forme d’une juxtaposition d’excédents de capital et de force de travail, sans qu’il soit apparemment possible de les mettre en œuvre de façon profitable pour accomplir des tâches socialement utiles. Afin d’éviter une dévaluation (ou même une destruction) générale de capital et de travail, il faut trouver des moyens permettant d’absorber ces excédents. L’expansion géographique et la réorganisation spatiale offrent une telle possibilité. Mais celle-ci ne saurait être indépendante de dispositifs temporels (temporal fixes) spécifiques, dans la mesure où l’expansion géographique implique souvent des investissements dans des infrastructures matérielles et sociales durables (transport, réseaux de communication, éducation, recherche par exemple) dont l’amortissement, par le biais des activités productives qu’ils soutiennent, s’étale sur plusieurs années. [D’après la traduction française d’I. Udry-Richet, B. Cros et N. Ballier parue dans Dans Actuel Marx, 2004/1 (n° 35), p. 71 à 90].
Ainsi que l’indique Harvey lui-même, sa réflexion ne se comprend que dans un cadre idéologique précis. Il recourt à une analyse marxiste conçue pour décrire un monde qui de fait n'existe plus ; le capitalisme et le monde ont considérablement évolué depuis Marx. Que Zajontz ait recours à ce concept et à celui d'accumulation par dépossession pose donc un problème méthodologique. Qu'il conclut que le système socio-économique chinois est capitaliste, que la Chine en Afrique se comporte comme tout autre pays (néo-)colonialiste ou (néo-)impérialiste ne me gêne pas, car c'est assez ce que je ressens, mais ce qui me dérange est que ce ne soit pas la conclusion de son analyse, mais le cadre a priori dans lequel il contraint son analyse. Les questions que Zajontz aurait dû se poser au préalable étaient de savoir si, premièrement, la Chine de Xi Jinping et de ses prédécesseurs post-Mao connaît bien un système socio-économique de type capitaliste ; si, deuxièmement, ce système s’identifiait ou non à celui analysé par Marx ; et si, troisièmement, le fonctionnement de ce capitalisme bureaucratique chinois était comparable à celui des capitalismes entrepreneuriaux occidentaux. Ce n’est qu’après avoir répondu à de telles interrogations qu’il aurait pu considérer que la réflexion d’Harvey lui offrait une grille de lecture pertinente. Encore aurait-il fallu qu’il avéra et spécifia les crises chinoises de surproduction et de suraccumulation et non qu’il se contente de les postuler – même si nous ne saurions douter de l’existence de ces crises soit à l’origine de la stratégie des nouvelles routes de la soie.
Il apparaît que Zajontz semble confondre systématiquement « capacités de production excédentaires » et « surproduction » ; or il n’y a surproduction que si les capacités excédentaires sont utilisées au-delà de ce que les débouchés peuvent absorber. Également, Zajontz assimile « investissement du capital excédentaire » à « financement par des prêts bancaires » ; or un calcul approximatif montrerait que le total des prêts chinois à l'Afrique serait de quatre à cinq fois supérieur au stock d’investissements chinois en Afrique. Aujourd’hui, de surcroît, si le gouvernement chinois cherche à limiter les prêts de ses banques aux gouvernements africains, il n’a en revanche pas imposé de restrictions aux investissements de ses entreprises qui par ailleurs n’investissent qu’anecdotiquement en Afrique. Mais encore, Zajontz assimile les prêts aux pays africains à l’emploi de capitaux excédentaires. Ce pourrait éventuellement être le cas si les institutions financières chinoises prêtant à l'Afrique étaient des banques commerciales et non des banques politiques dont l’objet n’est pas de placer des disponibilités afin d’en rentabiliser l’usage, mais de favoriser par leur biais des relations politiques avec des pays dont les voix soutiendront la Chine lors de l’assemblée générale des Nations unies et dans diverses instances onusiennes. À supposer que ces banques politiques se comportent comme des banques commerciales, une surabondance de prêts ne pourrait pas encore s’analyser comme une crise systémique du capitalisme (chinois ou non), mais devrait être traitée comme un problème banal et universel de surliquidité signalant à toute banque centrale d’avoir à renforcer les règles prudentielles et à relever le taux de réserves obligatoires des banques sous leur tutelle.
Bref, ces confusions conceptuelles suggèrent une démarche scientifique plus qu’approximative et une préférence pour une approche idéologique qui, faute de spécifier ces crises chinoises de surproduction et de suraccumulation, ne peut aucunement évaluer leur réel impact sur les économies africaines.