Existe-t-il une vision stratégique burkinabé dans le parti pris pour Taïwan ?
Dzifa Kpetigo

Réflexion inspirée par la note de Benoît Lemonnier « Les cinq bonnes raisons de choisir Taïwan »  publiée le 29 septembre 2009 sur ce site.

Un travail de réflexion géopolitique et économique intéressant a été mené par Benoît Lemonnier concernant les motivations burkinabés à se maintenir dans un partenariat avec Taipei plutôt que de céder aux sirènes chinoises comme la majorité des États africains. Sur plus d'un point l'argumentation de Benoît remporte notre adhésion, sur d'autres une réflexion critique peut être menée. C'est d'ailleurs là tout l'intérêt de la chose, pousser le débat plus loin pour éclairer et enrichir les uns et les autres.

De toutes les raisons évoquées pour choisir Taïwan, la cinquième raison reste de toute évidence la plus pertinente et la plus généralisable à l'ensemble des partenaires africains de l'empire du milieu ; « utiliser Taïwan indirectement comme bouclier[1] commercial » de façon à contraindre Pékin à limiter ses exportations vers les marchés africains, mais aussi à le forcer à créer des emplois. Cette logique passe par l'inexistence d'une couverture diplomatique aux activités commerciales chinoises, augmentant le risque d'entreprendre et décourageant la conquête du marché africain. Ces deux points sont d'une grande importance. La plupart des débats économiques et études en rapport à la coopération sino-africaine tourne autour des questions de noyautage des marchés domestiques africains et de la non création d'emplois nouveaux par les investissements chinois sur le continent. À titre illustratif, l'article de Giorgia Giovannettia, et Marco Sanfilippo, "Do Chinese Exports Crowd-out African Goods? An Econometric Analysis by Country and Sector" paru dans le « Special Issue » de Septembre 2009 du "European Journal of Development Research (EJDR)" constitue un premier cas d'effort d'analyse empirique de l'impact des exportations chinoises vers l'Afrique sur la dynamique d'exportations africaines. Les auteurs essayent de voir si les exportations chinoises participent à l'enfermement de l'Afrique dans des spécialisations primaires en mesurant l'impact indirect de la concurrence chinoise sur les exportations africaines. Ils arrivent à mettre en évidence un effet de déplacement au niveau des secteurs, des produits, des régions et des marchés de sorte que la croissance annuelle des exportations chinoises correspond à la décroissance dans les exportations africaines. Il est donc urgent de se constituer un « bouclier ».

Il faut toutefois noter que l'efficacité du bouclier dont parle Benoît Lemonnier tiendra au fait que son utilisation devra aller de pair avec une rupture diplomatique avec Pékin, ce qui en limite grandement l'usage pour la plupart des États africains déjà avancés dans leur coopération avec la Chine continentale. Ce qui transparaît dans cette cinquième raison de choisir Taïwan, c'est qu'un climat d'insécurité ciblée de l'investissement chinois peut contraindre la menace commerciale chinoise. Le risque c'est les effets pervers d'externalités négatives qu'une telle politique peut avoir sur les investissements provenant d'autres sources. Les capitaux quel qu'ils soient apprécient un climat de confiance généralisé ; parce qu'il sera admis que si les capitaux chinois ne sont pas en sécurité dans un tel pays d'Afrique, rien ne prouve que les autres capitaux le soient réellement à long terme. Au final, peut-on vraiment utiliser le « bouclier » ?

Un autre aspect de la réflexion de Benoît Lemonnier peut servir de fil conducteur pour se demander s'il existe vraiment une vision stratégie burkinabé préalable au choix de Taipei en lieu et place de Pékin ? Parce qu'il semble se dégager l'idée selon laquelle le choix burkinabé est stratégique, il est tentant d'affirmer que non. Ce qui ressort de la lecture analytique des cinq raisons, c'est qu'il s'agit beaucoup plus dans le cas du Burkina Faso des avantages d'une situation de facto (celle d'être pro-Taïwan) que de la résultante d'une stratégie ex-ante burkinabé. Pourquoi affirmer cela ? Parce que les premiers liens en termes de coopération que le Burkina Faso a tissé avec Taïwan, se sont fait par la force des choses, dans une période où la Chine comme le souligne Benoît Lemonnier avait mis son intérêt pour l'Afrique entre parenthèses pour se consacrer à sa modernisation. Et donc c'est l'indisponibilité financière momentanée chinoise qui a poussé le Burkina Faso dans les bras de Taïwan, quitte à ce que après le Burkina Faso ou plutôt les dirigeants burkinabés n'y trouve leur compte, faisant perdurer les liens entre l'île rebelle et les hommes intègres.

Ce qui serait intéressant à long terme c'est de voir s'il n'existe pas de signe avant coureur d'un quelconque rapprochement entre Pékin et Ouagadougou, parce qu'il reste fort à parier que si Ouagadougou trouve des intérêts plus satisfaisants du côté de Pékin, la relation entre Taïwan et le  Burkina Faso risque de se rétrécir comme une peau de chagrin. Comme l'a dit un grand homme français, « les pays n'ont pas d'amis, rien que des intérêts » (Charles De Gaulle).