À quoi joue la Chine?
par Tierno Monénembo
Le jour -- 22 octobre 2009
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Il n'est pas besoin de lire Machiavel pour savoir qu'en politique, « la bonté est impuissante, la fortune inconstante et la méchanceté insatiable ».

D'ailleurs, les Chinois dont la culture est multimillénaire n'ont pas besoin d'ouvrir Le Prince pour en apprendre sur l'âme insondable du genre humain. Quand on a enfanté et Lao-Tseu et Li Bai et Du Fu et Confucius, on peut aisément se passer des précepteurs latins, fussent- ils les plus éminents de Florence ou de Rome. Le cynisme, de toute façon, est une leçon qui s'apprend, tout seul ; il suffit d'étouffer sa conscience et de laisser monter en soi les pulsions vénales, signes distinctifs des escrocs et des brigands. Le contrat minier que la Chine vient de signer avec l'inénarrable gouvernement de Dadis Camara nous rappelle froidement combien De Gaulle avait raison de dire : «Les Etats n'ont pas d'amis, ils n'ont que des intérêts». Entendez, des intérêts qui parlent toutes sortes de langues, pour paraphraser ce bon vieux La Rochefoucauld!

Je ne sais pas si les Chinois parlent le soussou ou le guerzé, ce qui est sûr, c'est qu'ils sont très vite passés du langage romantique de la révolution prolétarienne à celui des carnassiers de la City et de Wall Street. Money is the god of our time ! Emmanuel Berl avait donc tout compris: "le capitalisme ne peut être pensé que par le communisme » ! Et quand le communisme laisse tomber la faucille et le marteau pour brandir la Mastercard, prolétaires du monde entier, prémunissez- vous !

Bôf, de toute façon, depuis la chute d'un certain mur, il n'y a plus qu'une seule idéologie sur terre, celle du dollar. Et ma foi, la Chine n'est plus 500 millions de crève- la- faim mais près d'un milliard et demi de golden boys. Jamais l'empire du milieu n'a autant mérité son nom. Il est devenu une super- puissance, personne ne peut le nier. En quelque sorte, sa présence en Afrique s'inscrit dans l'ordre naturel, des choses ; à bien des égards, elle est même souhaitable. La Guinée, c'est évident, a besoin des capitaux et du savoir- faire chinois. Mais pas de cette façon- là !

Cet accord nous choque et il y a de quoi ! Il est indécent. 7 milliards de dollars entachés du sang de nos femmes et de nos enfants violés en public et abattus comme des bêtes, ce n'est pas un investissement. C'est un signe de mépris, c'est une véritable provocation. L'affairisme a des limites même dans une époque comme la nôtre où la barbarie économique tient lieu de religion.

La politique minière de la Chine commence sérieusement à nous agacer. Nous disons bien la politique minière du gouvernement chinois ! Le communiqué de circonstance dans lequel Pékin se défausse sur une mystérieuse société basée à Hong-Kong ne trompe personne. Nous ne savons que trop le caractère centralisé du pouvoir chinois. Aucun subterfuge ne nous fera comprendre qu'un tel contrat puisse voir le jour sans son aval.

Nous sommes choqués, oui ; à vrai dire, surtout étonnés ! Comment, diable, un pays où, de tradition, tout est tact, nuance, prudence et subtilité, peut- il commettre une aussi grossière maladresse ? Comment un Etat aussi mur, peut- il miser sur Dadis Camara, un obscur capitaine sorti du néant par la grâce d'un putsch d'opérette et s'apprêtant à y retourner vomi par son peuple et rejeté par la communauté internationale tout entière ? La Chine se rend- elle compte des risques qu'elle prend ? L'odeur de la bauxite lui aurait-elle fait perdre la tête ? Est-ce bien lucide de préférer les petits délinquants du CNDD au peuple de Guinée, le seul, le vrai, l'unique propriétaire du pays ?

Quel gâchis ! Pourtant jusqu'ici, son image dans notre pays (l'un des tout premiers d'Afrique à lui ouvrir une ambassade) était plutôt bonne. Pour nombre de Guinéens, l'aide chinoise, israélienne et Cubaine sont de loin les plus désintéressées, les mieux adaptées et les plus efficaces depuis 1958.

En attendant, le mal est fait. Aux Guinéens d'en tirer les conséquences. Le prochain gouvernement issu des urnes devra, de toute évidence, dénoncer tous les contrats signés pour le CNDD depuis le 28 Septembre dernier. Il devra aussi envisager un réexamen de nos relations diplomatiques au profit de Taïwan.

Et puisque nous parlons de Chine, eh bien, terminons par deux proverbes chinois :

-l'un adressé au gouvernement de Pékin : «Les profits injustes, c'est comme la fausse monnaie ; plus on en a, plus on risque».

-l'autre à Dadis Camara et à sa bande : «Qui fait l'âne ne doit pas s'étonner que les autres lui montent dessus.»

Tierno Monénembo