Africa's Shadow Rise: China and the Mirage of African Economic Development
Padraig Carmody, Peter Kragelund, Ricardo Reboredo
London, Zed Books, 2020, 222 p.

Le titre est tout à fait explicite de la thèse défendue dans cet ouvrage : l’essor de l'Afrique des vingt dernières années s’est opéré à l’ombre de la croissance de l’économie chinoise. Mais la croissance induite par la demande chinoise a échoué à générer une transformation économique de l'Afrique conduisant au développement des 54 pays du continent. On devrait donc parler de croissance tirée par la Chine (Chinese-led growth) et non de développement tiré par la Chine (Chinese-led development) (voir Limites de la «croissance tirée par les infrastructures» ).

Cette croissance s’est accompagnée d’une diversification des dépendances aboutissant à un « piège du commerce » résultant de la hausse du coût des matières premières puisque les investissements directs étrangers se sont orientés vers le secteur extractif et non le secteur manufacturier qui seul aurait pu promouvoir l’industrialisation de l'Afrique. De surcroît, la robotisation en marche des activités manufacturières rend encore plus difficile cette industrialisation, car elle repose non plus sur une main-d’œuvre abondante et bon marché, mais sur une main-d’œuvre à forte intensité de compétences qui précisément fait encore défaut à l'Afrique.

Les auteurs notent également que les élites africaines ne sont pas passives et sont bien à l’œuvre aux postes de pilotage, mais que l'activisme africain (African agency) s'est surtout manifesté dans la capacité des pays à marchander l'intervention économique chinoise plutôt qu'à favoriser des changements structurels impulsant effectivement le développement économique et social. L'emploi du mot marchandage est important, car il permet de constater à la fois l'activisme africain et l'exercice chinois d'une certaine influence. Dès 2014, je faisais ces constatations[1] et écrivais à propos de l’Algérie :

Aujourd’hui l’Algérie réunit à la fois une forte présence chinoise et une coalition au pouvoir qui semble manifester une telle volonté industrialiste, mais de manière jugée si discutable par certains opposants qu’ils ont érigé la Chine en « facteur de désindustrialisation » pour mieux attaquer un gouvernement algérien.

L'activisme africain et l'influence chinoise peuvent éventuellement se conjuguer pour mobiliser d’importantes ressources financières, humaines, matérielles et immatérielles et mener tout autant à une politique industrielle efficiente ou inefficiente. On en revient donc toujours à la question de la stratégie, à la qualité et à la pertinence des études de faisabilité et de rentabilité des projets sans oublier le rôle de la corruption même si celle-ci peut aussi se révéler développementale comme Mushtaq Khan l’a montré[2].

Toutefois, comme le font indirectement remarquer les auteurs, il ne peut exister un modèle chinois à appliquer à l'Afrique. Selon la nature des économies africaines (niveau de développement, nature des économies…) la nature de « l'assemblage » (c’est leur mot) entre la Chine et un pays africain peut considérablement varier d’un pays à l’autre, ce qui interdit une essentialisation de la présence chinoise et ce qui est cohérent avec le refus chinois du multilatéralisme dans ses relations internationales.

Notes : 

[1] La Chine en Algérie -- Quelle désindustrialisation (2014), Developmental States: How Algeria makes the best of China to promote its development (2014) et La Chine en Algérie : quelle industrialisation ? (2016).

[2] Mushtaq Khan, « Building Growth-promoting Governance Capabilities » in UNCTAD, The Least Developed Countries Report 2009, [Background paper n°2], 2008 ; Political Settlement and the Governance of Growth-enhancing Institutions, Working Paper, SOAS, University of London, 2010.