Je me souviens de vous
Thierry Pairault

Je ne sais pas à qui ce billet est réellement destiné, peut-être est-ce à moi-même, car tous avaient à peine plus que mon âge? En moins d'un mois, quatre personnes ayant compté dans ma vie à des titres très divers viennent successivement de disparaître. La dernière fut Mireille Delmas-Marty, une grande dame avec laquelle j'ai eu plusieurs discussions très agréables. C'est grâce à elle que j'ai saisi le concept d'«état de droit» qu'elle nommait «souveraineté de la loi» à une époque où l'on entendait tout et surtout n'importe quoi. Son départ fut précédé de celui de Michèle Moreau, une illustre inconnue pour tous, mais ma voisine depuis 1975; son don fut de fleurir le jardin de notre résidence et de verdir la vue de mon bureau. Avant elle, ce fut Laili Aydalot que je n'ai rencontrée qu'une fois après qu'elle ait été hospitalisée à la suite d'un accident de voiture. Elle était prof de sciences économiques et sociales et je fus son remplaçant en 1969. C'est par elle que je suis entré à l'Éducation nationale par la très basse porte des maîtres auxiliaires (mi-pion, mi-prof). Encore avant, ce fut Xavier Richet que je connaissais depuis de nombreuses années, et avec qui j'avais fini par nouer une sorte de fraternité intellectuelle qui nous conduisit à la rédaction d'un livre sur Les présences économiques chinoises en Méditerranée dont la parution précéda de quelques jours son départ.

Je me souviens de vous ami, collègues, voisine.

À peine avais-je écrit les lignes ci-dessus que j'apprenais la disparition de Françoise Kahn qui, jeune juive réfugiée en zone libre, devint l'amie de cœur de ma mère. Son histoire et celle de milliers d'autres juifs inspirèrent à ma mère, anticléricale absolue, de me faire baptiser en dépit de ses convictions afin de me protéger au cas où la barbarie serait de retour.