Compte-rendu de de l'intervention le 27 janvier 2016 de He Wenping  au séminaire « Présences chinoises en Afrique »,


Les coopérations tripartites «France – Chine – Afrique» [He Wenping 贺文萍]

Invitée du séminaire « Présences chinoises en Afrique », He Wenping, directrice de la section Afrique de l’Académie des sciences sociales de Chine est intervenue le 27 janvier 2016 pour discuter des coopérations tripartites « France – Chine – Afrique ».

En introduction, Mme He a exposé son parcours. Elle a commencé à faire de la recherche sur l’Afrique en 1986 pendant son master. Le sujet de son mémoire était la politique de l’Afrique du sud vis-à-vis de la Namibie. Elle a continué avec une thèse de doctorat sur la démocratisation des pays africains depuis leur indépendance, thèse suivie par un livre. À présent, elle s’intéresse essentiellement aux relations sino-africaines, et cela notamment depuis le FOCAC de 2000 d’autant plus que la recherche au sein de son institut a été réorientée vers ce sujet. Elle continue néanmoins à s’intéresser aux systèmes politiques africains mais du point de vue chinois en s’attachant notamment à la politique de la Chine vis-à-vis des pays africains et en comparant la Chine et les pays africains en termes de systèmes politiques. Elle étudie également les grandes puissances dans leurs rapports avec les pays africains. Trois thèmes lui tiennent particulièrement à cœur :

  • La paix en Afrique : dans quelle mesure et comment la Chine peut-elle intervenir dans la construction de la paix en Afrique ;
  • L’aide au développement ;
  • La construction d’un soft power chinois. Ce thème, apparu récemment dans ses recherches, a donné lieu à la création d’un groupe de recherche spécifique.

He Wenping discute alors des coopérations tripartites à travers un exposé en trois parties.

A. Perspective chinoise sur la coopération tripartite.

La coopération tripartite n’est pas une priorité pour la Chine

Mme He s’étonne d’emblée du grand intérêt qui a été manifesté au cours de ses nombreuses rencontres en France au sujet de la coopération tripartite -- notamment au niveau ministériel. En Chine, affirme-t-elle, lorsqu’on parle de coopération, que ce soit lors FOCAC ou au sein du MAE ou de son institut de recherche, la coopération tripartite n’est pas une priorité.

Lors du dernier FOCAC de décembre 2015, c’était essentiellement d’accords commerciaux entre la Chine et l’Afrique dont il a été question mais nullement avec la France, l’Europe, ou les États-Unis. D’après He Wenping, lorsque les dirigeants chinois vont en Afrique, ils se préoccupent en premier lieu de la coopération Chine-Afrique et non pas de ce que font les autres pays avec l’Afrique. L’idée de la coopération tripartite est plutôt proposée à chaque fois par les autres pays. Donc les questions à poser sont : « Les coopérations tripartites sont-elles vraiment nécessaires ? » et : « Y a-t-il une réelle volonté politique en leur faveur ? ».

Un changement de posture récent

Mme He note toutefois que si les réponses du MAE chinois sont floues, l’idée d’une coopération tripartite ferait son chemin. Bien que lors du dernier FOCAC la question n’ait pas été posée, on peut néanmoins remarquer des changements de posture de la part du gouvernement chinois, notamment à l’occasion des visites officielles en Europe, en particulier en France, au cours desquelles cette question a été abordée. Quand Li Keqiang est venu en Europe, il a évoqué la question d’une de coopération tripartite ce qui serait à rapprocher de la décision de la Chine d’intégrer le Centre de développement de l’OCDE.

La guerre en Libye : un tournant pour la Chine ?

Il reste difficile de dire quand ce changement dans la posture est survenu, car il n’y a pas d’événement qui symboliserait ce tournant. Néanmoins, souligne Mme He, la guerre en Libye a sans doute été le moteur qui a entamé une réflexion au sujet d’une coopération trilatérale. La guerre en Libye de 2011 a obligé la Chine à mettre en œuvre toutes ses forces pour évacuer ses citoyens et les dommages économiques résultants ont été considérables (environ deux milliards de dollars). D’où une réflexion sur les moyens de préserver les intérêts chinois en Afrique, notamment économiques, dans le contexte d’une certaine instabilité politique dont les répercussions pourraient être graves pour les rapports sino- africains.

Des points de vue différents en Chine : les intérêts économiques demeurent prioritaires.

Comme la sécurité économique est profondément liée à la sécurité politique africaine, certains pensent que la coopération tripartite peut éventuellement être un moyen de renforcer la sécurité économique chinoise. Toutefois, l’idée la plus répandue est que la Chine n’a besoin ni des États-Unis ni de l’Union Européenne car, au contraire, une telle coopération ne ferait que compliquer les choses. D’autres ne croient pas en cette possibilité car la plupart les pays occidentaux considère toujours la Chine comme une menace.

Mme He indique qu’en 2011 elle avait mené une série d’enquêtes sur les pays africains avec un volet de coopération tripartite ; tous les ambassadeurs qu’elle avait rencontrés s’étaient montrés très peu intéressés voire suspicieux. Mme He remarque alors que l’intérêt soudain de l’Occident pour une coopération avec la Chine souligne la persistance d’un décalage entre la vision des administrations occidentales et les gens sur place qui, selon elle, seraient les premiers à ne pas être intéressés par une coopération tripartite. De surcroît, des institutions comme l’OCDE ne trouvent pas cela utile et ont donc un point de vue très diffèrent de celui des fonctionnaires ministériels. En France, l’AFD n’a jamais non plus proposé rien de tel.

Le différend avec Washington….

Existerait-il des possibilités de coopération tripartite, encore faudrait-il distinguer entre les pays européens et les États-Unis, poursuit Mme He. Elle rappelle qu’il y a des différends importants avec les États-Unis au sujet des îles de la mer de Chine et surtout avec la stratégie du « pivot asiatique » qui est ressentie comme une véritable restriction à l’émergence pacifique de la Chine. L’initiative plus récente d’une route maritime de la soie pose aussi problème car les États-Unis pensent que cette route vise expressément à les contenir.

… peut favoriser une coopération avec les pays européens.

Dans le contexte de la coopération avec les pays africains, ce différend pourrait jouer en faveur de l’Europe contre les États-Unis et renforcer une coopération avec les pays européens.

B. Comment mettre en œuvre la coopération tripartite ?

S’il existe un certain consensus en faveur d’une coopération tripartite, encore faut-il se demander comment et dans quel domaine l’entreprendre ?

La recherche sur les maladies tropicales : un domaine de coopération privilégié.

Mme He met en avant les possibilités de collaboration dans le domaine de la recherche sur les maladies tropicales entre la Chine et l’Occident, notamment la France, en raison de leur complémentarité : la Chine a envoyé beaucoup de personnel en Afrique car elle a des techniques très performantes. Mme He rappelle d’ailleurs la visite à son institut d’un chercheur d’une institution de recherche sur les maladies tropicales qui avait proposé une coopération dans ce domaine juste avant que le virus Ebola ne se diffuse en Afrique de l’Ouest. Elle rappelle aussi qu’un ministre français était même venu en Chine pour signer une déclaration sur la coopération dans la lutte contre le virus. La complémentarité entre Chine et France pourrait facilement se traduire dans une coopération gagnant-gagnant qui n’exclurait pas a priori des projets de coopérations plus vastes ouvertes à d’autres acteurs comme par exemple la fondation Bill Gates.

Des coopérations privilégiant la position des pays africains.

L’agriculture et la santé sont des domaines politiquement moins sensibles dans lesquels diverses formes de coopération peuvent être envisagées. La Chine attache beaucoup d’importance à respecter un triple principe : « l’Afrique propose, l’Afrique mène les projets, l’Afrique tire un bénéfice ».

Des possibilités de coopération tripartite dans la recherche scientifique.

Mme He indique qu’il y a beaucoup de possibilités de coopération dans la recherche scientifique. L’Afrique est faible dans ce domaine de la recherche et les capacités de la Chine sont également assez faibles alors que l’Europe est très forte. Une coopération tripartite donnerait à la Chine les moyens de s’améliorer.

Des projets de coopération très exigeants toujours à l’initiative de l’Occident

Les projets mis en œuvre sont généralement à l’initiative de l’Occident. Ni la Chine, ni les pays africains n’ont jamais initié de projets de coopérations tripartites. D’après Mme He, les pays africains préconisent plutôt des coopérations bilatérales. Parmi les projets initiés par la Chine, il y a le China Africa Joint Research and Exchange Program[1] financé par le ministère [chinois] des Finances, il ne concerne que les pays africains et la Chine. Les projets tripartites initiés pas les pays occidentaux lui semblent imposer des conditions très strictes ce qui peut considérablement compliquer la mise en œuvre. Mme He cite alors l’exemple d’un projet du DIFID[2] à l’élaboration duquel elle a participé en 2015. Elle note aussi que la Grande Bretagne sait se montrer très exigeante.

La coopération dans le domaine de la recherche agricole

Jean-Jacques Gabas rebondit sur la question de la coopération dans le domaine de la recherche, et notamment dans le secteur agricole. Il souligne que tous les travaux qui ont été menés montrent les qualités de la Chine mais aussi une faiblesse majeure, à savoir de l’absence de coordination entre les équipes de chercheurs chinois et les équipes des autres pays. En discutant avec les directeurs des centres de démonstration agricole, il est apparu que malgré une volonté commune de partage des connaissances, les chercheurs chinois n’accèdent pas aux savoirs accumulés par les chercheurs occidentaux ou africains de même que ces derniers n’accèdent pas aux connaissances produites par les chercheurs chinois. Les mondes sont encore trop étanches.

Surmonter les problèmes de communication

En réponse Mme He cite des exemples de chercheurs chinois ou d’institutions de recherche chinoises impliquées dans les questions agricoles en Afrique, notamment le Centre de recherche sur l’économie agricole du ministère de l’Agriculture, et l’Université d’agronomie de Chine dont fait partie Li Xiaoyun qui envoie régulièrement ses étudiants dans des centres de recherche en Tanzanie.

Si des collaborations ont déjà pris forme, cependant celles menées entre chercheurs chinois et étrangers demeurent difficiles à réaliser en raison avant tout de problèmes de communication. Aux États-Unis, le Social Science Research Council a par exemple obtenu des financements de la Rockefeller Foundation pour construire un réseau de recherche auquel tous les pays participent à l’exception de la Chine parce que ses chercheurs publient essentiellement en chinois et que leurs études ne peuvent être reprises sur ce site. Il y a donc un véritable problème de langue et de communication et, partant, d’échange de savoirs.

C. Les alliances franco-chinoises concernant les entreprises.

Les entreprises chinoises sont favorables à des coopérations tripartites.

Mme He aborde alors la question des PME chinoises et de leur coopération avec des entreprises étrangères. Elle souligne que ces PME chinoises ne tiennent pas compte des relations diplomatiques entre les pays et ne cherchent qu’à se développer par elles-mêmes. Comme elles n’ont pas accès aux prêts bancaires, elles ont besoin de trouver d’autres solutions et doivent pour ce faire se débrouiller toutes seules. C’est pourquoi elles espèrent vivement pouvoir coopérer avec des entreprises étrangères et s’intéressent énormément aux coopérations tripartites. Elles souhaitent donc rencontrer des entreprises étrangères, de participer à leurs projets et surtout à leurs réseaux. Ainsi, elles sont prêtes à participer à tout séminaire à toute rencontre leur permettant de rencontrer des entreprises étrangères.

La conférence de Dakar et les PME chinoises et françaises ?

Selon Mme He, les PME chinoises seront ravies de participer à la conférence de Dakar en mai 2016 si on leur offre l’opportunité de rencontrer des PME françaises.

D. Questions et réponses

Frédéric Pons : Est-ce que vous pourriez définir quels pourraient être les pays/zones stratégiques pour la Chine aujourd’hui en Afrique ?

He Wenping : En décembre 2015, lors du FOCAC, la Chine a mis en avant la question de l’industrialisation de l’Afrique : comme la croissance économique diminue en Chine, elle a besoin de solutions nouvelles pour ses entreprises. Par ailleurs, la Chine connaît une crise de surproduction dans l’acier, le ciment, le verre… Elle envisagerait donc de transférer des capacités de production vers l’Afrique et ainsi l’aider l’Afrique à s’industrialiser. C’est pour cela qu’elle octroie un soutien financier (de l'ordre de dix milliars de dollars) pour aider les entreprises chinoises à s’installer en Afrique. Dans ce cadre, les trois pays clés ciblés lors du dernier FOCAC sont l’Éthiopie, le Kenya et la Tanzanie.

Jérémy Rubel : On a le sentiment que la Chine tend la main à la France pour aller en Afrique, est-ce que cela se limite aux pays africains francophones ou cela va-t-il au-delà ? La Chine invitera-t-elle la France dans son projet de routes de la soie ? La Chine considère-t-elle la France comme le meilleur intermédiaire pour coopérer en Afrique francophone ?

He Wenping : La France pourrait en effet permettre à la Chine de s’ancrer pour relier les différents pays et le continent africain. Dans l’avenir la France pourrait représenter un pays clé dans les projets de coopération : elle a une position dans les plans de la Chine, en raison de sa forte influence militaire et économique, alors que la Chine ne possède pas de garantie sécuritaire. Il faut savoir que la paix et la sécurité représentent d’autres domaines de coopération envisageables. Néanmoins, il faut tenir compte aussi du fait que certains pays africains sont encore très sensibles à la question du passé colonial, ce qui explique par exemple pourquoi lAFRICOM n’a pas pu mettre son siège en Afrique.

Relu par Jean-Jacques Gabas et Thierry Pairault

[1] http://www.focac.org/eng/xsjl/zflhyjjljh/.

[2] http://www.theeastafrican.co.ke/news/DfID-China-to-improve-farming-in-Africa-/-/2558/1639726/-/ku14yfz/-/index.html.