Chine-Afrique : investissement en capital fixe et investissement étranger
Thierry Pairault
La question de l’investissement chinois en Afrique est une question sensible, son importance et son rôle sont l’objet de bien des phantasmes même s’il ne représente que 2,6% de l’investissement chinois hors des frontières de la Chine et 0,2% de l’investissement direct étranger (IDE) dans le monde en 2014. Pour tenter d’apprécier son influence potentielle dans la stratégie d’investissement des pays africains, j’ai entrepris d’évaluer l’importance de l’IDE dans la formation brute de capital fixe (FBCF) – c'est-à-dire l’investissement en capital fixe – pour chaque pays africain à partir des données disponibles sur le site de la Banque mondiale et celles du MOFCOM (un tableau récapitulatif est disponible en fin d’article ).
J’ai sélectionné neuf pays dont les caractéristiques illustrent de manière significative l’investissement chinois en Afrique. Un premier graphe montre ces pays ; en abscisses est reporté l’IDE total que chaque pays a reçu du monde ; en ordonnées est reporté l’IDE chinois reçu par chaque pays ; la taille des cercles donne une idée de l’importance de la FBCF de chaque pays (par exemple l’investissement en Afrique du Sud est 86 fois celui en Guinée).
Le second graphe compare l’Afrique du Sud à l’Algérie respectivement premier et second pays africains par l’importance de leur FBCF. De fait le premier fait beaucoup plus appel que le second à l’IDE pour financer ces investissements (respectivement 8% et 3% de leur FBCF) ce qui s’explique sans doute par le fait que l’Algérie a opté pour une stratégie d’investissement de ses rentes pétrolières. Quoi qu’il en soit ces deux pays restent en dessous des moyennes mondiales et africaines (respectivement 13% et 12%). En revanche l’importance prise par les IDE chinois (8% et 7% de leur IDE total pour l’Afrique du Sud et l’Algérie) sont nettement supérieur aux moyennes mondiales et africaines (3% et 5%). Dans le cas de l’Afrique du Sud, ce poids de la Chine résulte très directement d’une acquisition considérable en valeur, celle en 2008 de 20% des parts de la Standard Bank, un investissement dont la visée était d’ailleurs plus panafricaine que sud-africaine. Quant à l’Algérie, le poids de la Chine n’est en vérité que marginal : 7% de 3% font 0,21% de la FBCF. En d’autres termes, il est assez difficile de concevoir que la Chine puisse « faire » la politique économique de ces pays.
Le troisième graphe compare trois pays (l’Algérie, le Congo et le Maroc) dont les montants d’IDE sont comparables. La Maroc y recourt plus que l’Algérie mais d’une manière aussi limitée que l’Afrique du Sud (8%) ; en revanche le Congo financerait à 72% sa FBCF par des IDE, en d’autres termes la stratégie de développement définie à Brazzaville ne peut être que très dépendante des stratégies des entreprises étrangères – chinoises ou non – qui s’implantent dans le pays. Et même si les Congolais se sentent, disent-ils, « cernés » par les entreprises chinoises, celles-ci ne financent que 2% de l’IDE entrant au Congo, soit une proportion six fois plus faible que les moyennes mondiales et africaines. De ce point de vue l’influence chinoise au Maroc est encore plus réduite puisque la part de l’IDE chinois dans l’IDE total serait de 0,3% soit 0,024% de la FBCF marocaine !
Le dernier graphe regroupe cinq pays : Congo (RDC), Éthiopie, Guinée, Kenya et Zimbabwe par ordre alphabétique. Tous ont pour caractéristique une FBCF assez limitée même s’ils ne sont pas les pays qui investissent le moins dans leur économie. Tous ces cas suggèrent que la Chine jouerait un rôle par défaut qui risquerait ne n’être pas déterminant pour assurer le développement de ces pays. Trois d’entre eux marquent une certaine dépendance à l’égard de la Chine pour leurs investissements. Le Kenya bien que n’ayant pas massivement recourt à l’IDE pour financer sa FBCF, la Chine s’y taille une place importante en effectuant plus du quart (26%) des investissements étrangers dans ce pays. Cela est moindre que pour le Congo (RDC) puisque cette proportion est de plus du tiers (36%) pour un recours en proportion triple aux IDE. C’est aussi beaucoup moindre que pour le Zimbabwe puisque cette proportion est de près des deux tiers (64%) pour un recours en proportion sextuple aux IDE, soit une proportion très supérieure au moyennes mondiales et africaines. Par comparaison, la Guinée très dépendante des IDE (36%) réserve une place somme toute modeste aux IDE chinois (12%). Le cas de l’Éthiopie est intéressant car la présence chinoise est souvent érigée en modèle pour l’Afrique, ce pays ne dépend pas considérablement de l’IDE pour assurer sa FBCF (10%, soit moins que les moyennes mondiales et africaines), en revanche il octroie effectivement un rôle certain à la Chine (14% des IDE contre 5% en moyenne pour l’Afrique).
Par ses investissements, la Chine en semble donc jouer un rôle mais il s’agirait d’un rôle à la marge plutôt qu’un rôle décisif dans les stratégies de développement des pays africains. Même là où peu d’investisseurs étrangers se risquent, les conséquences industrialisantes et développementales de la présence chinoise risquent très restreintes par la faiblesse même de la FBCF de ces pays. Si la présence chinoise peut aider, elle est insuffisante à elle seule pour sauver.