Ce document complexe ce compose d'un contrat de co-gestion et d'une reconnaissance sous seing privé des droits d'un enfant adopté.

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La partie de gauche (image ci-dessous) qu’il serait trop compliqué de traduire littéralement est un contrat signé le 2 novembre d’une année indéterminée (le coin supérieur gauche du contrat la mentionnant a été déchiré), mais antérieure au contrat rapporté à droite comme nous le verrons. Trois éléments signalent immédiatement que cette partie gauche est le miroir d’un autre document : les caractères dont seule la partie gauche apparaît, mais aussi une série de sceaux rouges dont la partie manquante doit se retrouver par pliage sur le document miroir.

Ce contrat établi une co-propriété/co-gestion 分管合同 sur des biens laissés en héritage et que veulent se partager deux branches du clan Ning 甯 (encore écrit 寧), mais ayant adopté des marqueurs de génération 字輩 différents : l’une au moment du contrat utilise en première position du prénom le caractère De 得, l’autre en deuxième position le caractère Yuan 元 . D’où les signataires : Ning Deji 甯德基 et Ning Tongyuan 甯同元, chacun étant selon toute vraisemblance l’aîné de sa branche. Cette divergence dans l’adoption du marqueur de génération laisse penser que la division du clan initial ne serait pas récente et résulterait d’une décision prise antérieurement par des aïeux qui auraient distingué entre le rameau principal 天字號 auquel appartiendrait Ning Deji et le rameau secondaire地字號 auquel se rattacherait Ning Tongyuan. Incidemment, cela pourrait aussi expliquer l’emplacement du marqueur de génération dans les prénoms, en premier pour le rameau principal, en second pour le rameau second. Ici, la distinction entre premier 天字號 et second 地字號 se fait référence au mode de marquage des places lors des examens impériaux qui n’utilisait pas une numérotation à base de chiffres, mais suivait l’ordre des caractères du Classique des mille caractères 千文字 qui débutait avec le caractère Ciel 天 immédiatement suivi du caractère Terre 地.

Pour en revenir au contrat, la branche de Ning Deji détient une noria qui permet d’irriguer les terres cultivées par les deux familles. Le but de ce contrat est donc d’organiser la co-gestion de la noria et d’assurer l’exhaure de l’eau de telle sorte que les besoins hydriques des deux familles puissent être satisfaits. Aussi le contrat mentionne-t-il les périodes d’exhaure, les terrains concernés par l’irrigation ainsi que la répartition des frais d’entretien de la noria.

Outre les représentants des deux branches qui signent le contrat (Ning Deji est lisible malgré un effacement du caractère 基 ; en revanche, Ning Tongyuan est recouvert par le papier qui ourle à cet endroit), dix personnes sont énumérées pour attester de la validité de ce contrat. On note six membres de la famille Ning de la même branche et génération que Ning Deji, deux autres Ning sans doute de la génération précédente marquée Ting 廷 et aussi deux personnes issues d’autres familles. Dans ce dernier cas il s’agit d’un membre de la famille Leng 冷 et un membre de la famille Xiong 熊 ; dans les deux cas il doit s’agir d’hommes (et non de femmes qui seraient désignées, par exemple, comme « celle de la famille Zhang qui a épousé un Ning » 甯張氏) dont l’irrigation des terrains bénéficient de la noria objet du contrat.

Les éléments illisibles immédiatement en dessous de la série de demi-caractères semblent une justification des surfaces indiquées dans le corps du contrat qu'avalise un service chargé des choses rurales (sceau).

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Le second contrat est signé le 28 août (le « faste huitième mois » 潤捌月) 1902 (光緒二十八年) par Ning Tongyuan 甯統元 qui est le frère cadet (le benjamin sans doute) de Ning Tongyuan 甯同元 qui a signé le contrat de co-gestion précédent. La transcription en caractères latins des deux noms est identique, mais les caractères transcris tong diffèrent par les caractères employés dans leur écriture (統 et 同), mais aussi par les tonèmes utilisés dans leur prononciation (tǒng au 3e ton et tóng au 2e ton).

La préoccupation qui justifie le premier contrat est l’accès à l’eau dispensée par la noria. Ce second contrat ne fait pas exception et vise à établir le droit d’un tiers non désigné dans le premier contrat. Ce tiers est le fils qu’ont adopté Ning Tongyuan l’aîné (le signataire du premier contrat) et sa femme (Dame Ye 葉氏) qui n’ont pas eu d’enfant. Leur choix s’était porté sur un de ses neveux dont le père biologique 親生父 est précisément Ning Tongyuan le cadet (le signataire de ce second contrat). Pour éviter toute contestation, Ning Tongyuan le cadet fait donc signer par toutes les personnes concernées ce document qui établit que le fils adopté est habile à hériter du patrimoine de son père adoptif.

Pour bien signifier l’objet de ce contrat, le document débute par ces mots 立過房承繼文約 où les deux caractères 過房 signalent l’adoption d’un neveu pour assurer la continuité de la famille ; littéralement ils signifient « sortir de la pièce ». Ici, le mot « pièce » a un sens ethnologique tout autant qu’architectonique. Dans une famille lignagère 家  (là aussi, il y a un double sens ethnologique et architectonique), chaque famille conjugale 房 dispose de sa propre pièce. Quitter cette « pièce » ne signifie pas quitter la famille lignagère, mais changer de « pièce » et donc de famille conjugale. Les deux caractères 承繼 renforcent encore la description de l’objet de ce contrat puisqu’ils signifient pour un neveu « hériter du nom et des biens » d’un oncle.

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Parmi les membres de la branche principale, on relève neuf personnes de la même génération dont les prénoms pourraient avoir les significations suivantes :

  • 甯得福 : Ning l’heureux
  • 甯得基 : Ning le fondateur
  • 甯得江 : Ning le dominant
  • 甯得均 : Ning le juste
  • 甯得良 : Ning le vertueux
  • 甯得善 : Ning le bon
  • 甯得祥 : Ning le chanceux
  • 甯得秀 : Ning le magnifique
  • 甯得學 : Ning le savant